Quand le dirham marocain détrône le dinar algérien dans les camps de Tindouf

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le dirham marocain est devenu aujourd’hui la devise la plus prisée par les Sahraouis de Tindouf dans leurs transactions quotidiennes. Cet engouement pour le dirham, somme toute pas aussi surprenant que cela, s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs.

 

Tout d’abord, et bien que séquestrées depuis des décennies dans les camps de Tindouf, les populations sahraouies, n’ayant pas la mémoire aussi courte, ont toujours gardé dans leur subconscient cette vieille habitude de tout évaluer en dirham. Un réflexe resté d’autant plus vivace chez ces populations qu’il a fini par se matérialiser aujourd’hui, à travers l’usage effectif de la monnaie marocaine au cœur même des camps de Tindouf.

 

A ce facteur psychologique, il faut ajouter celui, affectif, découlant des liens familiaux indélébiles. Ce qui fait que malgré les barrières politico-militaires imposées par l’Algérie, les rapports entre les Sahraouis restés au Maroc et ceux concentrés dans les camps de Tindouf n’ont jamais été totalement rompus. Ainsi, les habitants des provinces du sud marocain ont de tout temps volé au secours de leurs compatriotes de Tindouf. Pour atténuer un tant soit peu la misère criante dans laquelle sont confinés ces derniers, ils trouvent toujours le moyen de leur faire parvenir des sommes d’argent, en général libellées en dirham marocain.

 

D’ailleurs, les échanges de visites entre Sahraouis de Tindouf et ceux du sud marocain, initiés pendant un certain temps par la Minurso sous l’égide des Nations-Unies, ont largement contribué à injecter une importante quantité de dirhams marocains dans l’économie des camps de Tindouf.

Ainsi, les visiteurs qui se rendaient à Tindouf apportaient dans leurs valises, entre autres, d’importantes sommes d’argent, sans oublier d’en donner à leurs hôtes avant le retour de ces derniers à Tindouf. Cet altruisme a bien évidemment profité à la direction du Polisario, dont la majorité des membres est spécialisée dans le trafic de monnaies et devises, qu’ils fructifient sur le marché noir et autres trafics dans toute la région sahélo-saharienne.

 

Le troisième facteur, non moins déterminant en matière d’engouement pour le dirham dans les camps de Tindouf, réside dans la perte de valeur constante du dinar algérien. 

 

Donnez à un Sahraoui de Tindouf des billets de 1000 dinars algériens, il se mettra automatiquement à cogiter pour  les convertir en dirhams marocains, afin de retrouver ses repères. Une fois l’opération faite, sa déception est grande de voir qu’une dizaine de milliers de dinars, qu’il croyait être une fortune immense, pèse certes lourd dans sa poche, mais pas grand-chose dans son panier.

 

En effet, dans le contexte de mauvaise passe que traverse actuellement l’Algérie, avec la chute drastique et continue des revenus pétroliers, unique ressource du pays, la monnaie algérienne a été prise dans une frénétique spirale de dégringolade, à tel point que pour un seul euro il faut aujourd’hui pas moins de 200 dinars algériens.

 

Dans un pays où on commence à faire tourner la planche à billets, et où le SMIG est fixé par la loi à 18.000 dinars, soit seulement 90 euros, contre 50 à 70.000 dinars pour les salaires des hauts cadres, la monnaie algérienne est promise au pire. Elle se dirige en effet tout droit vers le syndrome zimbabwéen, quand dans le pays de Robert Mugabe le taux d'inflation avait atteint, en 2009, 231.000.000 %, et où pour acheter un seul œuf et une miche de pain, il fallait 100 milliards de dollars zimbabwéens! Une monnaie abandonnée depuis, au profit d’une brève adoption du rand sud-africain et du dollar américain.